L’équilibre
Rédigé le 11 mars 2020
J’ai été invité par l’Association des femmes en finance du Québec (AFFQ) à discuter de l’équilibre homme-femme dans les organisations. C’est une invitation qui m’a pris de court. Je suis un homme blanc barbu d’une trentaine d’années, qui a grandi dans les chambres du hockey compétitif, et je ne suis pas réputé pour mon ardent féminisme.
Vous comprendrez mon étonnement initial.
Cela dit, à me poser la question, je crois que Le Chiffre est l’incarnation du nouveau « normal » chez les jeunes organisations, où les valeurs des clans masculins et féminins sont presque les mêmes, et où l’homme fait plus de sacrifice qu’auparavant pour organiser le travail autour de la famille. Ce phénomène aplanit mieux les chances de réussite, sans toutefois éliminer complètement toutes les différences. Voici ce que j’avais à dire sur la question:
Culture d’entreprise
Ce que nous avons réalisé chez Le Chiffre, c’est qu’un modèle moins axé sur les heures facturables et une flexibilité au niveau des heures de travail attire beaucoup de femmes talentueuses qui ont déjà vécu une expérience plus compétitive, dans des cabinets qui glorifient la présence au travail et les heures facturables, et qui veulent changer d’air. Nous avons une culture d’entreprise qui favorise un style de vie plus diversifié. De plus, la nature de notre approche, fortement numérique, rend facilement possible le travail à distance, ce qui permet encore plus de flexibilité pour les jeunes parents.
En ce moment, nous avons trois collègues en congé de maternité, et une qui part d’ici peu. C’est 15% de notre staff. C’est sur que ça rend les choses plus compliquées, mais ça nous permet de brasser les cartes et faire preuve de créativité.
Nous sommes deux associés masculins pour la simple et bonne raison que nous sommes des amis d’enfance. Au tout début, les seules personnes qui nous faisaient confiance et qui ont eu le courage de nous suivre étaient des amis, plus souvent des hommes. Nous avons eu assez le tôt le problème de boys club, que nous avons voulu casser rapidement. Nous trouvions qu’il était important d’avoir plus de diversité dans l’organisation, pas juste au niveau des sexes, mais surtout au niveau des personnalités. D’ailleurs, nous avons renvoyé un de nos premiers employés pour son comportement avec ses subalternes et ses collègues féminins, malgré le fait qu’il était un homme très compétent.
Rémunération et avancement
Des personnalités qui s’imposent moins ont souvent des salaires inférieurs si rien n’est fait dans les organisations pour contrer ce phénomène. Dans les tests de personnalité, on sait que les femmes ont des scores moins élevés dans l’affirmation de soi, ce qui se traduit souvent dans la négociation, où elles font des compromis.
Par exemple, dans des cultures d’entreprises plus traditionnelles, on donne des augmentations ou des promotions à une personne quand elle a occupé des fonctions pour un moment, parfois 1 ou deux ans. Les caractères qui s’imposent plus ont tendance rapidement à exiger un salaire qui correspond à leurs responsabilités rapidement, sans attendre les prochaines négociations ou d’avoir fait ses preuves. Au Chiffre, en ajustant les salaires au moment où nous donnons de nouvelles responsabilités, nous acceptons de « perdre » des négociations salariales à court terme, en donnant des augmentations salariales qui correspondent aux responsabilités immédiates, pour gagner sur le long terme. Les iniquités salariales sont ainsi diminuées et le sentiment de se faire flouer est moins fort, renforçant l’engagement de nos employés.
Recrutement
Psychologiquement, une personne qui recrute 10 personnes aura une différente approche que 10 personnes qui recrutent une personne. Les comités ont tendance à recruter de façon moins audacieuse, et de prendre des profils moins « dangereux » pour l’organisation. En donnant la responsabilité claire de recrutement à une seule personne, il y a une tendance naturelle à venir diversifier les profils. Ainsi, nous avons une bonne diversité dans l’équipe. Le seul type de personne que nous peinons à recruter sont des profils plus expérimentés, avec plus de 10-15 ans d’expérience, parce que nous jugeons que le ratio valeur amené / salaire ne correspond pas avec notre modèle actuel d’affaires, basé sur l’automatisation et les nouvelles technologies.
De plus, nous faisons passer un test technique à l’ensemble de nos recrues, ce nous donne une image plus claire et moins biaisée des résultats. Encore là, ça permet à des profils plus timides et moins assurés de rentrer dans l’organisation et de faire leur place.
Il reste que nous souffrons tous de biais inconscients, moi y compris. Le Chiffre a du chemin à faire, comme toutes les organisations, pour trouver l’équilibre. Se poser les bonnes questions est un excellent début.